Pourquoi les Français sont-ils attachés à leur nom au point de donner un sens aussi péjoratif au mot "ignominie" ? Car en fait, l'ignominie est bien le fait de ne pas avoir de nom. Beau ou laid, célèbre ou ridicule, notre patronyme est et demeure le plus précieux de nos héritages. Pour le généalogiste amateur débutant, c'est la lignée agnatique qu'il cherchera à débroussailler en premier lieu. Pour le généalogiste confirmé, quelle émotion que de découvrir la plus ancienne mention de son patronyme: dans les "estimes de 1464" pour la plupart, dans des chartes plus anciennes encore pour les plus chanceux ! Notre nom, c'est pour chacun de nous notre noblesse, ce nom fut-il des plus roturiers.
En est-il de même hors de France ? La façon dont le patronyme se transmet est à la base d'une large diversité en la matière. De nombreuses sociétés de par le monde ne confèrent pas au nom de famille une telle perennité, une telle solennité aussi. Certains, comme les Espagnols, associent au nom du père celui de la mère et cette variabilité entre les noms des parents et ceux des enfants confère au patronyme une sorte d'instabilité qui le rend moins immuable et donc moins solennel. Les sociétés arabes ont négligé longtemps les patronymes pour les remplacer par le prénom du père: "Ali Ben Mohammed" comme Jean fils de Pierre. Les peuples nordiques en ont fait de même et on se souvient des héros des contes d'Andersen qui, de père en fils, portaient les noms de "Nils Holgerson" et Holger Nilson" (Nils fils de Holger et Holger fils de Nils). Nos voisins allemands eux-mêmes ont accordé au fils le choix de son nom: il peut porter le nom de son père ou le nom de sa mère.
La loi française, elle, reste ferme sur ses positions: l'article 313 du Code Civil rend obligatoire la transmission du nom par le père. Il en est de même en Italie. En 1978, devant la montée en Europe du besoin d'égalité des sexes, une directive du Conseil de l'Europe recommandait l'aménagement des lois considérées comme "sexistes". Mais ce n'est qu'en 1985 qu'une modification mineure était adoptée en France: "Toute personne majeure peut ajouter à son nom, à titre d'usage, le nom de celui de ses parents qui ne lui a pas transmis le sien". Jean, fils de Pierre DUPONT et de Jeanne DURAND, peut décider d'ajouter au nom de son père qu'il porte, celui de sa mère et de s'appeler Jean DUPONT-DURAND. Mais ses enfants s'appelleront DUPONT et non DUPONT-DURAND. La transmission du nom reste donc inchangée. En ce qui concerne de droit d'usage, le ministère de la Justice estime qu'aujourd'hui, plus de dix ans après la mise en oeuvre de cette possibilité de choix, moins de 5% des Français l'utilisent. En Allemagne, au Québec, où le droit d'usage et de transmissibilité permettent le choix, moins de 10% des familles choisissent le nom maternel. Mais c'est l'évolution des moeurs qui semble devenir capable de faire fléchir la loi. En France, de nos jours, près de 30% des enfants naissent hors mariage et les parents concubins ont, eux, la possibilité de choisir pour leurs enfants, le nom du père ou le nom de la mère. On peut donc penser que si cette tendance se confirme, la transmission du patronyme se modifiera d'elle même pour se calquer sur le modèle préconisé par le Conseil de l'Europe.
La recherche généalogique en sera-t-elle changée ? Apparemment non puisque les actes d'état-civil continueront sans doute à désigner nommément le père et la mère de l'enfant, le père et la mère de l'époux et de l'épouse, le père et la mère du défunt. Par contre, dans nos arbres généalogiques, outre les lignées agnatique et cognatique, il deviendra nécessaire de spécifier la lignée patronymique sous la forme d'une sorte de "fil conducteur" dont les méandres seront tributaires des choix successifs à chacune des générations. Concepteurs de logiciels de généalogie, n'oubliez pas de prévoir, pour les générations futures, cette possibilité de repérage au long des branches de vos arbres!
Michel Guigal