
Une voyante célèbre, connue autant pour ses qualités de médium que pour ses aptitudes médiatiques, très appréciée, dit-on, dans les salons feutrés de la politique et de la littérature vient de sortir en librairie un ouvrage dans lequel elle relate ses entretiens avec la défunte reine Marie-Antoinette.
Un véritable dialogue s'est engagée entre elles, et l'infortunée souveraine nous conte par le menu, des évènements, des émotions, des états d'âme totalement occultés par les historiographes du temps ou ignorés par nos savants historiens.
On voit combien nos manuels d'Histoire pourraient s'enrichir d'anecdotes mal connues ou de révélations sur des épisodes inédits de l'Histoire de France. Expliquer telle ou telle décision de quelque ancien monarque : pourquoi Charles VII a-t-il laissé tomber Jeanne d'Arc ? Quelle idée saugrenue a poussé Louis XVI à s'enfuir de nuit aussi précipitamment, mettant ainsi sa famille en péril et pourquoi le voiturier de Varennes avait-il un don exceptionnel de physionomiste de casino ? Les nouveaux spirites nous indiqueront certainement dans quel état d'esprit et pour quelle raisons climatiques, allergologiques ou arboricoles, le bon roi St Louis officiait sous un chêne et non sous un frêne ou un tilleul.
Il s'agit là d'un phénomène qui ne saurait nous laisser, nous autres généalogistes, totalement indifférents. En effet, si, par un moyen ou un autre, nous avons la possibilité de pouvoir entrer en contact avec quelques membres éminents ou mal connus de notre propre ascendance, voilà qui va nous permettre d'éclairer un certain nombre de points obscurs que nos recherches, jusqu'à présent, n'avaient pas permis d'élucider. Il est vrai que si, au cours de nos investigations, nous avons découvert bon nombre de renseignements sur les patronymes, les dates, les lieux, voire la profession ou la situation sociale de nos chers aïeux, nous sommes souvent en manque, en ce qui concerne certains détails de leur vie quotidienne : leur mode de vie, leurs opinions, leurs soucis financiers, leurs aspirations profondes.
Le développement de cette méthode permettrait, à coup sûr, d'élargir considérablement notre champ de connaissance sur le comportement de nos ancêtres.
Nous pourrions ainsi savoir quel était le père biologique de notre Soza N° tant, dont la filiation paraît douteuse, nous pourrions connaître les motivations secrètes ( déception amoureuse ?) qui avaient poussé notre quadrisaïeul à participer comme hussard à la Retraite de Russie et à finir congelé sous un pont de la Bérézina, ou encore à comprendre pourquoi l'héritage tant convoité de notre trisaïeule avait été discrètement subtilisé par le peu scrupuleux tuteur de l'oncle Charles, dont la santé mentale laissait fort à désirer.
Bref, nous pourrions acquérir une foule de renseignements précieux nous parvenant du fond des siècles.
Loin des inconfortables et obscures séances du spiritisme traditionnel, abandonnant sans regret les rotations ou lévitations bruyantes de guéridons archaïques, dépassant les traditionnels et laconiques chocs sur le plancher des un coup pour oui, deux coups pour non, incontestablement, ces dialogues post-mortem, peut-être enregistrables en numérique, enrichiraient opportunément et utilement notre patrimoine généalogique actuel. Ce serait assurément une avancée considérable de la connaissance du passé si l'esprit de l'au-delà venait, à travers le temps, nous apporter ces informations.
Un doute cependant m'assaille. Si au lieu et place d'un dialogue entre médiums spécialistes, ces discours d'outre-tombe nous parvenaient, à nous, pauvres non-initiés, sous une forme de monologue intérieur et à notre insu ?
Si les ombres de jadis venaient nous murmurer à l'oreille des commentaires divers ?
Imaginez un instant que de façon délibérée et sans que j'en ai aucune conscience, un esprit facétieux autant que libertin vienne, à cet instant même, s'immiscer sournoisement dans mon cerveau pour me dicter ces lignes. Que certains spécialistes, tel un Alphonse Allais malicieux ou un perfide Alfred Jarry ou quelque autre trublion du même acabit, viennent s'insinuer subtilement dans mon propos et interférer télépathiquement dans ma chronique, m'ôtant du même coup le peu d'humour que je croyais naïvement posséder ?
L'esprit souffle où il veut, certes, mais de qui ?
J.M.CODOUL